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Arts visuels - Portrait d'Hélène Duclos

Les œuvres d’Hélène Duclos se déploient comme des paysages vivants, à la croisée de l’artisanat et de l’expérimentation artistique. Avec plus de 25 ans de pratique, elle explore des formes variées telles que la peinture, la gravure, la broderie et le court-métrage d'animation, créant ainsi des univers hybrides où les frontières entre l’humain, l’animal et la nature se floutent.


C'est à travers des thématiques qui résonnent avec notre époque, qu'Hélène Duclos aborde les notions de temps, d'espace et d'états modifiés de conscience. En intégrant des pratiques comme l’hypnose dans son processus créatif, elle développe une approche qui nourrit des réflexions personnelles et sociétales. Ses œuvres, peuplées de personnages singuliers, sont profondément ancrées dans les réalités du monde et interrogent les enjeux contemporains tels que la maternité, l'écoféminisme, l'impermanence, les rituels et notre lien à la nature.


Au cœur de sa démarche se trouve un échange constant avec d’autres artistes et le public. L'artiste valorise le partage et la collaboration, animant des ateliers participatifs et encourageant des dialogues créatifs. Son art, en perpétuelle évolution, se nourrit des rencontres et des influences, offrant ainsi un espace de transformation et de découverte. Chaque création devient alors une invitation à explorer de nouvelles perspectives et à engager une réflexion collective sur notre environnement et notre humanité.



© lhommequitremble


Peux-tu nous parler de ton parcours ?


Mon système sensible a pris ses racines en Seine-et-Marne, entre la forêt de Fontainebleau et la Seine, et j’ai hérité de mon grand-père paternel, bijoutier-joaillier-horloger-orfèvre, d’une prédisposition pour la minutie. Je suis entrée aux Arts appliqués dans la section design textile, spécialisation tissage à l’école Duperré à Paris. Je me suis ensuite intéressée à la poésie contemporaine, au spectacle vivant et j’ai démarré mon activité d’artiste à Montpellier, en créant des costumes et en fabriquant des sculptures-décors. Ensuite, la rencontre avec Hélène Laflamme, peintre, et Michel de Mayer, facteur de clavecin dans la Drôme, m’a amenée à la peinture. Auprès d’eux, j’ai appris la peinture à l’huile sur bois enduit durant deux ans. J’ai complété mon apprentissage par un séjour de trois mois auprès d’un maître-laqueur à Ho-Chi-Minh-Ville. Je me suis formée à la gravure taille-douce des années plus tard, auprès de Pascal Fontan, au musée de l’imprimerie de Nantes. Entre-temps, j’ai fait naufrage au large du Sénégal, j’ai habité dans une petite maison sans eau ni électricité dans la Drôme, puis dans une maison normale, j’ai eu deux enfants, j’ai déménagé à Nantes dans un appartement. J’ai occupé une vingtaine d’ateliers différents. J’expose mes travaux depuis plus de 25 ans. J’ai passé un DNSEP et j’ai suivi une formation en hypnose ericksonienne. Je mène régulièrement des ateliers auprès d’enfants, de jeunes, d’adultes. Je m’implique ponctuellement dans des collectifs pour avancer sur la question de la rémunération des artistes-auteurs.

Ces quelques lignes décrivent des fragments de mon parcours, des événements sans chronologie ni repères spatiaux, mais qui me semblent traduire assez bien la dynamique qui caractérise ma trajectoire.


Comment caractériserais-tu ta démarche artistique ?


Il y a quelque chose de l’ordre du primordial, du spontané, du doute, du risque. Quelque chose de l’impermanence. Ce qui m’intéresse, c’est ce qui m’échappe, ce qui éclot, l'incongru, là où on ne l’attend pas.

Je travaille énormément et depuis toujours. Alors maintenant, je maîtrise mon geste, mes outils, je connais les couleurs, leur mélange par cœur, je connais la réponse de la toile, du papier, la pression du pinceau, je connais l’espace-temps qu’il me faut pour peindre, dessiner, graver ou broder tel ou tel élément. Maintenant que tout cela est ancré, je peux débrider mon cerveau et c’est cet état que je cherche, cet endroit où l’espace-temps n’existe plus de la même façon et devient comme une matière à part entière, une matière que je peux façonner, étirer, couper en morceaux et raccorder les bouts sans perdre le fil. Ce moment où les pensées louvoient en lointaine périphérie et qu’elles prennent la direction qu’elles décident. J’envisage la création comme une découverte permanente, une expérimentation en perpétuelle (r)évolution, un commencement qui recommence sans cesse. Ainsi, j’entre dans une forme presque ancestrale de l’apprentissage et je deviens plus réceptive à mes sensations et à ce qui m’entoure, parce que dans cet état, je dépasse mon propre corps et mes frontières intérieures. J’ouvre des flux plus grands qui permettent des rencontres fertiles.



Situation inverse #5 – 2020 – mine graphite, gouache et crayon de couleur sur papier – 100 x 140 cm, diptyque — ©ADAGP, Paris, 2020collection du Département d’Indre et Loire



Ton œuvre s’étend à travers la peinture, le dessin, la broderie, la gravure. Qu’est-ce que ces différentes techniques te permettent-elles d’expérimenter ?


La peinture, le dessin, la broderie et la gravure auxquels j’ajoute le film d’animation et la carte mentale sont les parties visibles de ma création. Mais il y a aussi tout ce qui est invisible et, comme les icebergs, c’est la partie la plus grande.

La multiplication des techniques vient du besoin de déconstruire sans cesse mon processus à mesure qu’il se construit pourtant, comme un besoin de rompre une dynamique pour en faire pousser une autre qui s’élancera dans une direction inattendue et que je vais pouvoir explorer. Le fait de passer d’un support à un autre, d’une dimension à une autre, de changer d’outils, de matières, me permet de mettre à l’épreuve mon propre corps, de préciser mon geste, de pousser mes limites physiques et mentales pour comprendre comment cela interagit et, du même coup, élargir mes capacités créatrices. Ainsi, je peux me concentrer des heures durant sur des tracés très fins à la plume et à l’encre, jusqu’à avoir des douleurs aux doigts et aux yeux, et le lendemain, prendre un gros pinceau chargé de térébenthine et d’huile pour peindre à larges gestes des fonds sur ma toile. Entre ces deux gestes, qu’est-ce qui entre en jeu ? Quels espaces nouveaux se créent-ils qui me permettent de fabriquer une nouvelle œuvre ? Ainsi se joue mon travail, à la recherche de ce qu’il se passe entre deux espaces, d'ouvrir des espaces entre.


Peux-tu nous parler des personnages qui peuplent tes créations ?


C’est vrai, vous pouvez voir des êtres humains, et vous pouvez remarquer aussi des plantes, des animaux, des montagnes, des fontaines, des miroirs, des écrans, des paravents, des petites architectures, des objets, des paysages parfois abstraits, des îles flottantes. J’oppose des contraires pour former un monde moins binaire, pour flouter les cases et interroger nos certitudes. Ces êtres revêtent tantôt des corps d’homme, tantôt de femme, tantôt des deux mélangés. Les humains ont des têtes d’animaux, ou bien des pattes avec des poils ou des dos avec des plumes. À certains endroits, les animaux portent des masques à tête d’humains et se cachent dans des plantes rouges. Au loin, on aperçoit des montagnes, jaunes, bleues, comme des nuages qui se dissipent derrière des arbres imaginaires, portant des colliers de fleurs, étendant leurs branches comme des éventails. Au premier plan, un plan de cristal liquide où se reflète une image de nulle part. Entre tous ces éléments, il y a des méandres de couleurs, ou bien du blanc, pour reposer les yeux ou pour guider le regard vers un autre horizon. Cette promenade poétique ou métaphysique invite à trouver des échos avec sa propre histoire. Il peut arriver qu’il n’y ait pas d’écho.


Compression des données #1- 2021 – huile sur toile – 73 x 92 cm



Le vivant fait partie intégrante de ton exploration artistique, quelles thématiques te sont chères ?


En vrac, une liste non-exhaustive : la maternité, la question du collectif, la maladie psychiatrique, les arbres, l’eau, les plantes, les animaux, le sacré, le cycle féminin, la magie, les sorcières, les rituels, l’impermanence, le « Ma » (concept esthétique japonais qui signifie intervalle, durée, espace, distance et fait référence aux variations subjectives du vide qui relie deux objets ou deux phénomènes séparés), etc. À cette liste j’ajouterai que : je lis de la littérature postmoderniste, réaliste magique, fantastique, de la science-fiction. Mais j’écoute aussi les histoires vraies, les biographies, les documentaires, et m’intéresse aux courants de pensée en sciences humaines et sociales, notamment l’écoféminisme qui me semble être la direction politique la meilleure à offrir à nos enfants et à la Terre. Avec tous ces fils, je tricote, je couds, je cuisine, j’élève mes enfants, je peins, je dessine, je bricole, je discute, je rêve, je dors, j’écris, je lis, je marche, je vois, je crée des liens, je pense.

Et depuis 25 ans que je crée, mon travail a régulièrement pris de nouveaux tournants.


Peux-tu nous décrire ton processus créatif ?


C’est difficile de le décrire car il évolue sans cesse et qu’il est différent selon que je peins, que je grave ou que je brode. Je n’ai pas de recette et si j’en proposais une il faudrait alors que chacun l’interprète et ajoute les blancs en neige à sa façon. J’arrive dans mon atelier, l’odeur est une première atteinte à mon cerveau, un premier signal qui conditionne d’une certaine façon mes retrouvailles avec le travail que j’ai laissé en plan la veille ou les jours d’avant. Puis j’allume la radio, je choisis une émission ou bien de la musique ou alors, je choisis le silence. Et je ne traîne pas. Je prends mes outils, mon cerveau est déjà dans un état différent, un état modifié de conscience comme on appelle cela en hypnose ou en méditation. Un état difficile à décrire, de plongée à l’intérieur de soi tout en étant connecté à l’extérieur, un état qui m’apporte d’autres informations, d’autres échos et qui permet de focaliser précisément sur ce que je fais tout en prenant de la distance. Le processus créatif est une force capable de nous transporter dans un mouvement, un déplacement dans l’espace-temps, sans que nous en ayons tout à fait les commandes.


Comment l’hypnose influence-t-elle ton processus créatif et ton approche artistique ?


L’hypnose est simplement un outil mental complémentaire de mes outils physiques. L’hypnose, c’est un état modifié de conscience, un état d’ouverture des perceptions propice à la création. Un état où l’on se déconnecte d’un réel pour se connecter à un autre réel, plus intérieur, plus méditatif. Un endroit intérieur particulier où les pensées que j’y laissecontinuent de fleurir et je peux y cueillir de nouvelles pensées, les trier, les organiser autrement, expérimenter, tenter des sauts d’obstacles. Dans cet endroit, je cherche l’imprévu, le rare et un état de liberté difficile à atteindre. L’hypnose me permet avant tout de me moquer de ce que l’on attend de moi.


Comment le projet "À mesure que" influence-t-il ta pratique artistique et tes collaborations avec d’autres artistes ?


J’ai plusieurs projets en tête : poursuivre "À mesure que", un travail d’analyses et de représentation visuelle d’un ensemble de caractéristiques de mon métier de plasticienne. Ce projet a donné lieu à l’élaboration d’une collection de cartes mentales à la croisée des chemins entre la poésie, la donnée (data), le dessin, le graphisme. Ces cartes, présentées ponctuellement en regard à mes travaux plastiques, apportent un éclairage didactique sur mon métier de plasticienne dans toutes ses dimensions. Ce travail m’a amené à m’intéresser à l’économie de ma pratique et du coup à partager des points de vue avec d’autres plasticiens, sur la réalité de nos métiers. J’ai démarré ces cartes en 2014 et je complète l’ensemble de manière ponctuelle et aléatoire en fonction du temps dont je dispose. J’aimerais aussi créer un deuxième court-métrage d’animation. Ce serait un grand rêve, mais il me faut trouver les soutiens, ce qui n’est pas une mince affaire. Et puis, j’ai besoin de trouver de nouvelles et belles collaborations avec des galeristes. J’admire le travail de certains galeristes et j’aimerais que mon travail soit défendu par eux. Mais ce n’est pas une mince affaire non plus.



Objets / formes récurrentes — 2020 — mine graphite sur papier – 50 x 65 cm



Peux-tu m’en dire plus sur les ateliers que tu animes ?


Je propose des ateliers pour des publics et dans des contextes très variés : médiathèques, écoles, associations... Depuis que je me suis formée à l’hypnose pour m’approprier plus concrètement cet outil que j’utilise depuis longtemps de manière autodidacte, je propose des ateliers mêlant hypnose et création. Ce sont des moments très beaux où les participants s’autorisent un lâcher-prise et une liberté plus grande. J’installe un état général de conscience modifié puis j’interviens ponctuellement tout au long de la séance par de petites suggestions ciblées, en fonction de ce que je ressens du groupe. Dans ce cadre, je ne m’attache pas trop à la technique proposée mais plutôt au sujet et à la façon dont les participantss’en emparent. C’est assez expérimental et très riche. L’idée est d’aider à faire éclore nos imaginaires et nos capacités créatives.

Avec mon frère, Marc, nous proposons des ateliers de création de court-métrage d’animation en papier découpé et dessin. Nous intervenons dans des CATTP, des écoles, des associations.

De manière générale, ce qui m’intéresse dans ces ateliers, c’est d’ouvrir les perspectives et poser la question de la relation : donner aux participants la possibilité de jouer avec des formes, des couleurs, des outils et de créer des ponts entre les outils, entre les pensées, entre les personnalités… C’est très vivifiant !



Propos recueillis par Élise Beltramini


 

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